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Peintures, 1992 à aujourd’hui, parcours

La peinture demeure une matière simple et directe, un art premier, au même titre que la sculpture ou la musique. Elle fait appel au sensible, aux sensations physiques pures. Dans ce sens mon travail s’invite dans le sujet, la matière et le support, elle n’est pas une réflexion ou une mise à distance de ce moyen d’expression. Dans le contexte suisse et français de ces 30 dernières années, il a fallu presque s’excuser d’être peintre. Ni les Anglais, ni les Allemands, ni les Américains n’eurent à le faire. Aujourd’hui on commence à peine à se détendre et à considérer que les peintres sont des artistes comme les autres. Cette longue traversée a été salutaire pour renouveler, libérer la peinture et la mettre sur le même pied que la photographie, la vidéo ou les installations. Bill Viola, Anish Kapoor ou James Turrel sont, à mes yeux, de grands peintres (sans peinture), des révélateurs de nos profondeurs abyssales, de nos questionnements identitaires. Dans mon parcours académique, j’ai suivis une formation de physiothérapeute avant ma formation aux beaux-arts, car la connaissance du corps et de sa physiologie m’intriguait totalement. J’ai aussi par la suite étudié le fonctionnement du cerveau et de ses mécanismes de survie, ainsi que toutes les implications hormonales de nos comportements et de nos humeurs. Cette articulation entre ces deux disciplines est au coeur de ma démarche, elle a guidé mes choix et révélé mon identité d’artiste.

Ma pratique, à l’instar de la scène culturelle allemande, est fidèle à cette définition de la peinture selon Gerhardt Richter: «comment introduire une subversion, un processus, une expérience qui ne soit ni un système, ni une planification, liés à l’application d’un savoir, d’une compréhension, mais une action poursuivie, subordonnée au plus singulier, au plus particulier d’un sujet: que le tableau puisse naître du faire» in «Le désir tragique», propos de G. Richter recueillis par Birgit Pelzer.

Je cherche sans cesse ce «faire», aux limites de la spontanéité et de la rigueur, pour créer de nouveaux espaces. Pour moi la peinture échappe au mental. Dans la rigueur absolue d'une direction intérieure, je procède par intuition. Il y a un sens formel et un sens de la couleur qui est en moi et qui doit se structurer à la surface. Comme l'écrivain ou le compositeur, la matière est là, il faut juste lui donner sa forme. Chaque tableau est une étape. Dans l’atelier ils sont alignés par dizaine, et je les travaille tous en même temps. Percevoir les besoins de chacune des surfaces, reliées à l’ensemble. Un puzzle géant, les chapitres d’une même histoire qui s’écrit sur plusieurs années.

La peinture résiste aux mots pour la traduire, il faut la voir dans l’espace et le temps qui lui sont nécessaire. Ces données me sont essentielles. On ne peut pas la «consommer», une disponibilité particulière est utile pour recevoir ce qu’elle a à nous donner. Son essence même est silencieuse, il faut se taire pour qu’émerge sa musicalité. Est-ce le fait d’avoir été emmenée très jeune dans les églises de France et d’Italie, et d’y avoir découvert les fresques monumentales, qui a créé chez moi cette attitude introspective à son sujet ? Devant les Matisse, Van Gogh, Klee, Mitchell, Marden, Dorner et tous les anciens, la peinture offre ce qui est caché, et sacré. Elle révèle à celui qui la regarde le plus intime de luimême, son humanité sombre ou lumineuse. C’est cette disposition qui active ma recherche, afin qu’ensuite la peinture autorise/exprime les doutes, les repentirs, et rende visible les cheminements/acharnements pour parvenir à une certaine cohérence visuelle. Serait-elle un pont entre le réel et nos sens, entre la matière et nous? Une réponse tant substantielle qu’immatérielle aux tensions intérieures et au questionnement existentiel.

Le paysage fictif, rêvé, mémorisé: métaphore de l’inaccessible intériorité?

Dès le début des Beaux-Arts (1989) le paysage s’est imposé comme mon seul motif. Originaire de Belgique, pays où je n’ai jamais habité, entourée de montagnes dans mon lieu de résidence à Genève, mon imaginaire se nourrissait d’un pays inconnu, plat et brumeux, que la peinture et la gravure se plaisait à recréer sans cesse. Une humeur mélancolique s’en dégageait. A cette époque, les dessins de Van Gogh, ces traits bleus nerveux sur le papier, m’ont beaucoup influencée. Les vallées et les forêts, une observation incessante des paysages suisses, sont ensuite apparus pour générer de nouveaux espaces de jeux, de signes, et de lumières. Dès le début, dans la production de grandes toiles, il s’agissait d’échapper à la figuration. Construire un langage personnel et poétique où le regard du spectateur se perdrait dans les différents plans suggérés (pigments mélangés à la colle de peau pour une surface mate), seuls les signes subsistants à la surface (huile et cire mélangées pour les accents brillants). Déjà à cette époque, le spectateur était invité à se déplacer latéralement, créant des changements de lumières et de couleur, dans le but qu’il perde ces repères et plonge mentalement dans la surface peinte.

La photographie a toujours été présente, m’accompagnant comme un carnet de croquis. Un moment, elle fut aussi le support de dessins aux feutres et à la cire (série paysages baroques).

Les deux années parisiennes ont modifiés mon sujet; le champ de la nature a rétrécit pour se focaliser sur les arbres des rues parisiennes (série de peintures acrylique sur bois, début des ponçages pour retrouver le support qui crée la forme) ou la ville crépusculaire (huile sur papier encollé sur bois).

Actuellement (depuis 2005 et les supports en aluminium) ce sont les frondaisons des arbres, les bocages, les limites entre la végétation et le ciel, ces visions parfois banales lors de mes déplacements quotidiens entre ville et campagne, qui m’occupent. J’imagine que cette luxuriance végétale entre directement en communication avec mes cellules nerveuses. Et soudain les arbres et le ciel se confondent pour devenir mes propres cellules. Des cellules globuleuses (globules rouges?) des arborescences tissulaires (muscles ou graisse?), in fine, du vivant organique, biologique. Comme si la peinture permettait un passage entre le végétal et l’humain, une translocation.

Ainsi la peinture répond aux mouvements fondamentaux de mon corps et de mon esprit, légitimant mon existence et la sienne.

Le choix d’un support en aluminium, depuis 2004, est essentiel. Tout d’abord d’un point de vue technique, après avoir pratiqué la toile, le bois, le papier, il offre une base d’une grande résistance physique à ma pratique. Ce «canevas» en métal sur lequel je dépose successivement plusieurs couches de peinture, dans le but de créer une épaisseur de différentes couleurs et teintes, qui sera soit poncée, soit cirée, soit laissée tel quel. Visuellement, il y a la luminosité propre que dégage ce matériau : une froideur métallique, une surface lisse, par plusieurs endroits toujours apparente, qui vient contrecarrer l’aspect lyrique et vivant de la peinture à l’huile. Il est la lumière même, malgré sa froideur. La matière «huile» est tour à tour utilisée de manière classique ; aplats successifs créant les transparences et les profondeurs et de manière inhabituelle. Elle peut être cirée afin de créer des brillances et des reflets ou poncée afin de retrouver d’anciennes couches. Triturée, l’intérêt étant sa grande résistance aux repentirs ainsi qu’à la lumière, qualités intrinsèques immuables.

Les brillances et les matités sont traitées comme la couleur même. La touche, la trace du pinceau apparaît parfois. La touche et la trace des ponçages souvent. Les différentes ponceuses et papiers de verre sont autant de pinceaux agressifs pour un résultat dans la douceur.

Dernièrement, la peinture s’efface totalement pour ne laisser que la gravure suggérer une forme, un motif, en lien avec le paysage fantasmé. Le support, dépourvu de peinture, accroche la lumière par la seule gravure de la surface attaquée par la ponceuse. / Axelle Snakkers